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Menacé par la justice du XXI° siècle

Je vais vous faire une confidence.
En tant que citoyen, ça me plait assez d’avoir Christiane Taubira en tant que Gardes des Sceaux.
Mais, en tant que professionnel du droit, je n’ai pas sauté de joie lorsqu’elle a été reconduite en tant que garde des sceaux dans le gouvernement de Manuel Valls.

Ne vous laissez pas berner par les accusations d’amateurismes ou de laxisme qui lui sont lancées par certains politiques.

Dans les faits, la justice pénale n’est pas devenue plus douce sous Taubira.
Pour mémoire, « Entre 2001 et 2012, le nombre de détenus a augmenté de 35%, la durée moyenne des peines d’emprisonnement a augmenté de 30% depuis 2007”

Quant à la compétence, c’est en fait l’un des principaux reproches faits au Cabinet de Christiane Taubira : elle pourrait bien faire aboutir une réforme sur laquelle nombre de ses prédécesseurs se sont cassés les dents.

Cette réforme porte un nom qui fait sourire au premier abord : « la justice du XXI° siècle ».
En 2014, il serait peut-être temps d’y penser au XXI° siècle, non ?

Dans la presse nationale, cette réforme n’a pas déclenché beaucoup d’enthousiasme. Vu depuis Paris, ça ressemble à une énième réorganisation technique sans conséquence.

La presse régionale est beaucoup plus attentive à l’un des pans de la réforme annoncée, qui propose de créer des Tribunaux de première instance au niveau départemental.
Le gouvernement, qui se souvient des traumatismes suscités par la réforme de la carte judicaire réalisée du temps de Rachida Dati ne parle pas de fermer à proprement parler des tribunaux.

La réforme envisagée consisterait de ne garder qu’un à deux tribunaux ayant le statut de « tribunal de première instance » (correspondant aux actuels tribunaux de première instance dans chaque département, le surplus des sites existant ayant désormais le statut de « chambre détachée ».

Par exemple :
Comme l’explique une mention du conseil de l’ordre du barreau de Thonon, cela pourrait « réduire les tribunaux de grande instance de Bonneville, Thonon-les-Bains et Albertville à de simples chambres “détachées” d’un tribunal départemental basé à Annecy. Tout en commandant la suppression de la cour d’appel de Chambéry au bénéfice d’une “méga cour” installée à Lyon. »

Un traitement analogue serait envisagé dans les bouches du Rhône, où je travaille en tant que juriste en cabinet d’Avocat.
Ce qui nous est annoncé, c’est la disparition du Tribunal de grande instance de Tarascon qui n’aurait plus que le statut de chambre détachée du nouveau « TPI » de Marseille (ou d’Aix en Provence).

Depuis le début de la semaine, les greffiers manifestent leur mécontentement, un peu partout en France, comme par exemple à Alençon, à Saint-Pierre ou à Dijon.

Vendredi 4 Avril à 12h30, les avocats, magistrats et greffiers de Tarascon ont manifesté ensemble contre la réforme devant l’actuel TGI.

Si cette réforme devait aboutir, elle aurait pour conséquence de réduire grandement la qualité de la justice rendue au sein des territoires.
Ce qui est envisagé c’est de transférer l’essentiel du contentieux vers quelques très grandes villes en ne laissant aux chambres détachées que les « chiens écrasés ».

A titre personnel, j’ai également des raisons de redouter la réforme.
Il est de règle qu’un Barreau représenté par un Bâtonnier existe dans le ressort de chaque Tribunal de Grande Instance, où siègent un Président et un Procureur.

Mécaniquement, le déclassement des anciens TGI, devenus des chambres détachées entrainerait donc la disparition des Barreaux correspondants.
Tout aussi mécaniquement, c’est une part importante du contentieux qui se retrouverait « aspirée » par les nouveaux Tribunaux de première instance au détriment de leurs chambres détachées.

Plus simplement, une part importante des cabinets d’Avocats de province mettront purement et simplement la clé sous la porte si le projet de « justice du XXI° siècle » se poursuit en l’état.

Le 29.03.2014, la Conférence Régionale des bâtonniers du Grand Sud Est et de la Corse
A adopté à l’unanimité la motion suivante :

  • Considérant que seuls la proximité et un accès au droit égal pour tous doivent conduire à la Justice du XXIème siècle,
  • Affirme son opposition à l’instauration du TPI au seul ressort départemental,
  • Affirme que la réforme doit maintenir un maillage territorial constant, à savoir :
  • 161 TPI POUR 161 TGI POUR 161 ORDRES
  • Apporte dès lors son soutien actif aux Avocats des Barreaux d’ALES, CARPENTRAS, TARASCON pour le maintien d’une juridiction de plein exercice.

Mais en dépit de ces initiatives, la profession est profondément divisée.

Les grands Barreaux et les plus gros Cabinets ne le diront pas trop fort, mais ils n’ont que des raisons de ce réjouir de la réforme, d’un point de vue financier.

Les villes moyennes qui risquent de perdre une large part du volume d’affaires apporté par une « vrai » TGI ont des raisons sérieuses de craindre pour leur activité économique.

Et j’ai quelques raisons de m’inquiéter pour mon emploi… dans l’indifférence quasi-générale.

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