Le mal de mer est arrivé le 24 décembre, peu après midi.
Les bancs de passants nageaient de droite et de gauche.
Les flots charriaient des paquets multicolores.
Au loin, des hauts parleurs hurlaient des chants de Noël désuets jusque dans la rue.
Je me suis accoudé au bastingage, déjà plus très sûr de la solidité de mes entrailles.
Ce n’est pas bien original de ne pas aimer Noël.
C’est banalement la période durant laquelle une moitié de la population se réjouit et fait la fête tandis que l’autre scrute la calendrier comme la trotteuse d’une montre
Il y a comme un darwinisme calendaire lors des fêtes de fin d’année.
Comme s’il fallait faire un tri pour distinguer ceux qui ont assez d’envie pour atteindre la rive de l’année prochaine.
J’avais encore le mal de mer le 24 au soir.
J’étais invité à une soupe populaire.
Dans une sorte de restaurant invraisemblable qui s’appelle le Fenouil à Vapeur. Sans rire.
Le petit garçon qui m’a tendu la main lorsque j’ai passé la porte s’appelait Adama, comme les héros de Battlestar Galactica. Je me suis senti un peu mieux.
Un premier bol de soupe s’est posé sur le pont.
Je l’ai rejeté à la mer après trois minces cuillères, faute d’appétit. Fichu mal de mer.
Une fondue franc-comtoise est passée bâbord sans que je songe un instant à la prendre dans mes filets.
La mer déchaînée charriait d’autres bols de soupe, des assiettes de fromage, des gâteaux et des tartes.
Les gens riaient alentours.
Une charmante vieille dame anglaise tout droit sortie de ces romans d’Agatha Christie que je lisais à la chaîne entre treize et quinze ans s’est assise à coté de moi
Je me suis servi un verre de vin pour tenter de raviver mon anglais.
Et j’ai sorti un paquet de cartes.
La première qu’elle a tiré était un cinq de carreaux, qu’elle a pris entre ses mains serrées.
Dawn a sursauté à la vue des brûlures sur la cartes lorsque ses main se sont ouvertes.
J’ai souri.
Ensuite, c’est un cinq de cœur que je lui ai posé entre les mains.
Cette fois c’est elle qui a souri en découvrant que la brûlure avait cette fois percé un trou au centre de sa carte.
Puis j’ai rejoint la cabine un instant car bien après mon anglais, le vin venait d’atteindre mes entrailles.
Voilà quinze ans que je n’ai pas fêté Noël deux fois d’affilée au même endroit.
Une fois de plus j’ai atteint le rivage et marché jusqu’au port.
A bout de souffle.