Billets, justice

Quoi de mieux qu’une taxe pour simplifier la procédure d’appel ?

Depuis hier, le Sénat examine en séance publique le troisième projet de loi de finances rectificative  pour l’année 2009. 
Au programme, pas mal de changements qui feront ou pas la joie des fiscalistes mais aussi une disposition qui intéresse le justiciable puisqu’elle crée une nouvelle taxe relative à l’exercice de l’Appel des décisions de justice.Pour bien comprendre les données du problème il faut revenir quelques mois en arrière et expliciter quelques éléments.
En Juin 2008 Nicolas Sarkozy annonçait son intention de rayer de la carte la profession d’Avoué. 
Je m’en étais ému à l’époque et vous renvoie au bref état des lieux que j’avais dressé dans ce billet.

Les choses se précisent depuis cette date puisque le projet de loi « portant réforme de la représentation devant les cours d’appel » a été adopté par l’Assemblée nationale le 6.10.2009 et sera examiné en séance publique devant le Sénat les 21 et 22 décembre prochains.
La principale innovation de ce texte réside dans une modification de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1971, déjà modifié par la loi du 31 décembre 1990, qui se lira désormais de la manière suivante :

« Une nouvelle profession dont les membres portent le titre d’avocat est substituée aux professions d’avocat, d’avoué près les cours d’appel et de conseil juridique. » [source]

La réforme promet d’aller très vite, puisque selon la rédaction du texte qui est celle du moment où j’écris ces lignes 

« Le chapitre Ier et les articles 31 à 33 de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2011.« [1]

Voilà, c’est aussi simple que cela de supprimer purement et simplement une profession.
Enfin, pas tout à fait. 

Si, selon le garde des sceaux, cette réforme « simplifie l’accès à la justice en appel et en diminue le coût ».[2] elle n’est, dans les faits, pas sans poser un nombre certain de problèmes financiers, sociaux, politiques et juridiques. 

Il ne saurait être question de simplement accorder aux avoués le bénéfice de l’entrée dans la profession d’Avocat.
Tout d’abord parce que la structure d’une Étude d’Avoué n’a rien à voir avec celle d’un Cabinet d’Avocat bien moins gourmand en termes de personnel. 


L’Humanité résumait en Mars dernier le problème de la sorte : 

C’est un plan social à bas bruit. Il devrait toucher 1 850 salariés, qui ne savent ni quand leur poste sera supprimé ni s’ils bénéficieront de mesures sociales dignes de ce nom. En annonçant, en juin 2008, la suppression du recours obligatoire à un avoué, officier ministériel chargé de représenter les parties à un procès devant les cours d’appel, Rachida Dati a signé l’arrêt de mort de la profession. « Ils deviendront en conséquence des avocats », a simplement annoncé la garde des Sceaux. Quant aux salariés des études d’avoués, « leur problème est au cœur de la réforme », avait assuré le ministère de la Justice aux organisations de salariés. [source]

Les Avoués eux-mêmes, officiers ministériels titulaires d’une charge qu’ils ont payé fort cher acceptent difficilement de voir celle-ci purement et simplement « abrogée ». 


La plupart d’entre eux sait, au surplus, qu’elle aura du mal à s’intégrer dans la profession d’Avocat faute de disposer d’une réelle clientèle… 

A en croire le communiqué de presse diffusé le 19.11.2009 par les ministères de l’Économie et du Budget le projet de loi de finances rectificative N°3 pour 2009 entend répondre à cette problématique qu’il résume en ces termes : 

Cette fusion entraîne des conséquences financières importantes pour les avoués. Elle les prive du droit de présenter leur successeur à l’agrément du garde des sceaux, droit qui leur est aujourd’hui reconnu par l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances et qui était
jusqu’à présent cédé, dans le cadre d’un traité de cession, en fonction du produit économique retiré de l’exploitation du monopole. Elle les prive également du monopole de la postulation devant les cours d’appel et les conduit à exercer leur activité en concurrence avec les avocats, devant l’ensemble des juridictions. [source]

Le projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel prévoit donc la création d’un fonds d’indemnisation doté de la personnalité morale qui sera chargé de verser aux Avoués :

  • une indemnité égale à 100% de la valeur de l’office, le cas échéant majorée, de façon à couvrir dans tous les cas le montant de l’apport personnel consenti et le montant du capital restant dû au titre des emprunts contractés aux fins d’acquisition de l’office ;
  • le remboursement des indemnités de licenciement et des sommes dues en application de la convention conclue au titre du reclassement des salariés licenciés. [même source]

Notez au passage que les salariés des études d’Avoué sont les grands perdants de la réforme puisqu’un grand nombre d’entre eux subiront un licenciement sans réelle possibilité de reclassement puisque leur métier aura purement et simplement disparu. 
Moche.  

Il ne vous aura pas échappé que tout cela risque d’avoir un coup important… C’est précisément à ce stade que le troisième projet de loi de finances rectificative  pour l’année 2009 qui est le serpent de mer de ce billet trouve toute son importance. 
Ce texte prévoit en effet la mesure suivante :   

Afin de financer l’indemnisation des avoués et de leurs salariés prévue par le projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel, un droit affecté au fonds d’indemnisation de la profession d’avoué serait institué pour une durée de huit ans.

Il serait dû par l’appelant, lorsque le ministère d’avocat est obligatoire, sauf lorsque l’appelant bénéficie de l’aide juridictionnelle.
Son tarif serait fixé à 330 €.
Il serait acquitté par l’avocat, pour le compte de son client, soit par voie de timbre, soit par voie électronique. [même source

Tant de beaux discours sur la nécessite de simplifier l’accès à la justice en appel et en diminuer le coût pour en arriver à la création d’une nouvelle taxe, ca semble assez mesquin… 
D’autant que le travail qui était effectué par les avoués et rémunéré sous la forme d’un État de Frais dont le tarif était réglementé au titre des dépens de l’instance, sera à l’avenir facturé par les avocats qui assumeront leur mission de représentation devant la Cour d’Appel… 
Des négociations sont en cours à ce sujet, le Conseil National de Barreaux a d’ailleurs déjà présenté au nom des Avocats des propositions très détaillées sur le sujet…
 
Au final, si la réforme simplifiera probablement les choses à terme dans l’esprit du justiciable qui pourra n’avoir qu’un interlocuteur tout au long de son procès, le montant de la taxe nouvellement crée, ajouté aux honoraires d’assistance et de postulation de l’Avocat risque d’alourdir sensiblement le coût de l’Appel. 
 
Certes, ladite taxe est prévue pour ne durer que huit ans… mais comment croire que d’ici là un autre besoin ne la rendra pas toute aussi nécessaire ? 
Dans l’esprit  de l’immense majorité des justiciables la justice est bien trop lourde et complexe de sorte qu’il est toujours tentant de vouloir écouter ceux qui prétendent simplifier à grand coups de serpe. 
La suppression des Avoués vient une nouvelle fois démontrer qu’une réfome de simplification simpliste, ca a un prix.

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