à vif

L’heure de la rupture

L’autre jour j’ai réalisé qu’en amour on ne m’avait jamais quitté.

Je marchais, un livre audio dans les oreilles, mon attention équitablement partagée entre la voix d’Eric Herson-Macarel et les contours du Mont-Ventoux nappés de nuages crémeux lorsque l’idée s’est formée.

Ce n’est pas que  je me pense si séduisant que l’on ne puisse envisager que me quitter. Tout d’abord, il faut garder en tête que mon étude se limite aux femmes qui ont voulu de moi. Ça ne fait pas beaucoup de monde. Et puis, la vérité c’est que j’ai longtemps pris mes jambes à mon cou au moindre signe de lassitude. J’étais lâche plutôt qu’irresistible, Je partais avant l’ennui, avant les disputes. Un prétexte m’aidait à quitter tant qu’il restait du beau, comme s’il était possible de laisser les souvenirs en l’état. Comme si les instants vécus étaient une toile sur laquelle il ne faut plus rien ajouter sous peine de l’amoindrir.

Les idées sont mouvantes comme les nuages. Si on les scrute suffisamment longtemps, elles changent de forme, si l’on cesse de les observer elles continuent leur bonhomme de chemin par elles-mêmes.

Longtemps, je ne me suis pas assez investi en amour, mais mon comportement a été exactement inverse en amitié. Cette pensée-là m’est apparue l’autre jour avec la netteté des idées mures lorsqu’il est venu nous rejoindre, quelque part aux alentours de l’heure du café.

Je ne suis pas de ces chefs de bande qui invitent frénétiquement ou sortent  suivis de bruits et de gens. Mes amitiés sont longues et paisibles. Si le temps m’a appris à savourer le calme en amour, j’ai conservé le goût de la passion en amitié.

Alors je m’acharne là où tous me conseillent de cesser d’appeler. Cela m’a causé des déceptions brulantes et des trahisons jamais vraiment cicatrisées. Et parfois j’en ai tiré des joies sans bornes qui justifient tout le reste.

Il y a des gens que l’on peut cesser de voir et d’entendre des années durant et retrouver comme si quelques heures avaient passé.

C’est  précisément l’exemple inverse qui s’est assis en face de moi l’autre jour.

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à vif

Le mec de la file de gauche

L’autre samedi, j’ai passé l’essentiel de la matinée au commissariat.

Pas de faux suspense, il ne m’est rien arrivé.

J’accompagnais quelqu’un qui souhaitait déposer plainte pour le vol de son portefeuille. Depuis, l’objet s’est révélé égaré plutôt que perdu. Mais sur le moment, la démarche paraissait nécessaire quoi qu’ennuyeuse.

Il y avait deux files d’attente désertes pour parvenir à l’accueil. Nous avons choisi la plus proche, celle de gauche ; au bout de laquelle se trouvait un homme au sourire affable et contenu à l’allure discrète dans un pull gris en laine ouvert par un col en v.

Je suis resté en retrait tandis que celle que j’accompagnais s’est avancée pour lui expliquer la disparition du portefeuille qu’elle situe deux jours auparavant, dans la foule réunie dans ce bar où nous avions été boire un verre pour marquer la Saint Patrick.

L’histoire du vol de portefeuille qui était sans aucun intérêt ce matin là a pris un tour comique dès lors qu’elle s’est révélée bâtie toute entière sur une hypothèse depuis démentie.

Mais peu importe. Ce qu’il faut retenir à ce stade, c’est que nous occupons la file de gauche avec une histoire banale et inutile.

Or, derrière le guichet voisin, se trouve un homme qui porte l’uniforme et le cheveu court. Il a le regard dur et un port de tête trop droit comme pour se donner une allure militaire, toutefois trahie par un léger surpoids. Sa haute stature pourrait suffire à lui donner de l’autorité et pourtant, il prend la peine d’adopter un ton impérieux lorsque deux femmes s’avancent vers lui.

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à vif, SNCF

Après le placard

On connaît tous des gens qui ne supportent pas la moindre contrariété.

J’en connais un qui frappe des deux pieds sur le sol au moindre ralentissement de son ordinateur.
Et un autre qui part rouler des heures en voiture dès qu’une déception se présente.
Lucien quant à lui se mettait dans des colères redoutables au moindre retard de train.

Les agents de la SNCF l’avaient repéré à force et préféraient s’enfermer dans leur local plutôt que de l’entendre réclamer des explications.

On peut les comprendre, bien sûr, pourquoi supporter une soufflante au nom de l’institution quant soit même on est fidèle au poste, et totalement étranger à ce que subissent les usagers ?

Pourtant, il n’est pas bien impressionnant Lucien quant il s’énerve, avec sa voix haut perchée et sa couronne de cheveux gris.

S’il lui prenait l’envie de vous frapper, les épaisses bagues qu’il porte à chaque doigt feraient bien quelques dégâts. Mais son truc à Lucien c’est de râler bien fort, puis de souffler jusqu’à ce que ça passe.

Je le sais bien moi. J’en ai passé des heures à attendre des trains, sur un quai à coté de lui.

Pourtant, on a mis quelques années à se parler avec Lucien. Ses agacements permanents m’amusaient mais ne m’incitaient pas à lier connaissance.

Mais un jour, les muscles figés par le mistral glaçant et lassé d’avoir trop attendu un train au départ  sans cesse retardé, j’ai proposé de partager un taxi.

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