et hop, justice

Aucun renseignement n’a pu être obtenu par Minitel

Je travaille dans un Cabinet d’Avocat.
Alors forcément, cela m’amène quotidiennement à faire délivrer par “exploit” d’huissier des actes par forcément très gentils à un certain nombre de gens.
Parfois, ils n’habitent pas à l’adresse qui se trouve en ma possession, de sorte que l’huissier peut être amené à établir le Procès-Verbal de Recherches prévu par l’article 659 du Code de Procédure Civile. 
 
Voici une copie (nécessairement anonymisée) de celui dont je viens d’avoir retour.
CCF16092009_00001

Oui, cet acte a bel et bien été rédigé en Aout 2009 par un huissier de justice qui ne possède qu’un Minitel.
Lorsque j’en ai pris connaissance j’ai immédiatement tenté une brève recherche sur un moteur de recherche. 
 
Oui, sur ce nouveau machin un peu obscur ; l’Internet qu’ils appellent ca.
Vérification faite, “M.” possède notamment un compte sur Facebook et Viadeo. Pas vraiment le profil d’un homme invisible en somme.
Notez au passage le coût de l’acte qui m’est facturé. 
 
Je crois que je vais le payer par Minitel…
Billets, justice, nos droits

La scientologie peut dormir tranquille

Depuis hier sur Le Monde ont peut lire une information aussi surprenante qu’inquiétante : 
La Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a affirmé, lundi 14 septembre, qu’une modification de la loi, intervenue le 12 mai, ne permet plus à un magistrat de dissoudre une secte pour escroquerie, ce qui lèverait le risque de dissolution de la Scientologie, poursuivie pour de tels faits à Paris.
Dans un communiqué diffusé par l’AFP, la Miviludes écrit avoir « découvert avec consternation la suppression de la peine de dissolution d’une personne morale en matière d’escroquerie, votée le 12 mai 2009 », et promulguée le 13 mai, « dans le cadre d’une loi de simplification du droit ». Elle dit en avoir « informé les pouvoirs publics compétents ». [source]
Le texte pointé du doigt par la MIVILUDES est la LOI n° 2009-526 du 12 mai 2009 « de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures ». 
Il s’agit d’un texte fourre-tout qui comporte des dispositions dans un grand nombre de matières.
Comme son nom l’indique, cette loi affiche l’ambition de simplifier le droit français pour le rendre plus accessible au citoyen.  

A première vue il s’agit donc d’un texte sans véritable fonction technique qui se contente de remplacer des termes très juridiques par une paraphrase plus accessible. 
Cette loi comporte ainsi un article 9 qui modifie le code civil de la manière suivante :

9° Au premier alinéa de l’article 1919, les mots : « tradition réelle ou feinte » sont remplacés par les mots : « remise réelle ou fictive » et, au dernier alinéa du même article, les mots : « tradition feinte » sont remplacés par les mots : « remise fictive » ;

Rien à signaler de ce coté là ; le changement de vocabulaire n’a strictement aucun effet sur l’état du droit.


Si ce texte ne comportait que des dispositions de ce type il n’y aurait pas de problème…

 Vous me voyez venir de très loin ; je vais vous  parler de ce qu’on sait tous déjà : Il n’y a rien de mieux qu’une de ces lois fourre-tout apparemment sans conséquence pour glisser des dispositions potentiellement gênantes politiquement. 


Vous avez raison, c’est bien de cela que je veux parler Mais pas seulement.

Car à mon sens, la vraie difficulté avec ces lois fourre-tout, c’est  avant tout le fait qu’elles posent un réel problème de démocratie en ce qu’elles sont très difficiles à comprendre, y compris pour ceux qui les votent. 


C’est d’ailleurs l’avis du député PCF Jean Pierre Brard selon qui :

« C’était un texte confus et touffu. Un de ces textes fourre-tout comme il en existe beaucoup et qui est passé à l’esbroufe » [source]

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Confus ? C’est un euphémisme…
Lisez par exemple l’article Article 52 de la loi du 12 mai 2009 :

Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 4111-6 est abrogé ;
2° Aux 1° et 2° de l’article L. 4161-1, au dernier alinéa du 1° de l’article L. 4161-2 et au 1° de l’article L. 4161-3, la référence : « L. 4111-6, » est supprimée

Avouons qu’en matière de « simplification et de clarification du droit » on a fait mieux… 


Il n’est donc pas étonnant que l’article 57-4° de la loi du 12 mai 2009 soit passé  inaperçu, bien qu’il s’agisse d’un texte qui allège considérablement les peines encourues par les personnes morales en cas d’escroquerie puisque ce texte est proprement illisible:

« le code pénal est ainsi modifié (…) Le premier alinéa de l’article 313-9 est complété par les mots : « et à l’article 313-6-1 ».

Pour pouvoir comprendre la modification il est donc nécessaire de comparer la rédaction de l’article 313-9 du code pénal avant et après l’entrée en vigueur de cette loi :
  • l’article 313-9 tel que rédigé avant la loi du 12 mai 2009 :
Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1.
Les peines encourues par les personnes morales sont :
1° L’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-38 ;
2° Les peines mentionnées à l’article 131-39.
L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.
  • l’article 313-9 du code pénal en vigueur
Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l‘article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39.
L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.
Là d’un coup, c’est un peu plus clair, à l’oeil nu on comprend bien que la quasi totalité des peines prévues par l’article 131-39 ont été supprimées bien qu’il faille -miracle de « simplification »- aller vérifier « à la main » lesquelles sont concernées. 
En dépit d’une concordance de dates troublante, je  n’ose imaginer que puisse exister  un complot visant à modifier le résultat du procès pénal lourdement médiatisé à l’occasion duquel la dissolution de l’église de scientologie a été requise par le ministère public.

Il me semble plutôt discerner là un dommage collatéral de la dépénalisation de la vie des affaires voulue et revendiquée par le chef de l’état depuis bien avant son élection. 

Quoi qu’il en soit la loi du 12 mai 2009 a bel et bien vocation à s’appliquer dans le cadre de ce procès puisque selon l’article 112-1 in fine du code pénal :
 les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.
Ne criez pas au scandale, il n’y a rien de plus juste que ce principe, qu’on appelle en droit pénal la « rétroactivité in mitius » : pourquoi appliquerait-on une peine que le législateur n’estime plus nécessaire ? 

Et les gesticulations de la chancellerie qui a fait déclarer lundi par son porte parole que  « Le gouvernement va déposer un projet de loi afin de réintroduire la disposition de dissolution » n’y changeront rien conformément… au même article 112-1 du code pénal
Sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis.
Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date.
Il est donc acquis que le Tribunal  Correctionnel ne pourra pas valablement prononcer la dissolution de l’Église de Scientologie dans son jugement à intervenir. 
Il dispose toutefois d’une arme de poids puisque l’article 131-39-2°du code pénal lui permet de prononcer une peine capable d’obérer gravement les possibilités pour celle-ci de se financer, il s’agit de :
L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. 
Moi qui en ait vu d’autres en la matière je vous avoue que je bien plus amusé qu’agacé par la situation.  

Voir la majorité présidentielle, celle-là même qui nous rabâche depuis des mois qu’elle va moraliser la vie des affaires, se faire prendre la main dans le pot de miel alors qu’elle prend des mesures qui, au contraire allègent la responsabilité des personnes morales je trouve ca assez truculent. 
« Poetic Justice » en somme…
Billets, justice

Le prix de l’erreur judiciaire

A la faveur de l’été le site de la Cour de Cassation vient (enfin) de mettre en ligne le rapport d’activité 2008 de la Commission Nationale de Réparation des Détentions
Il y a fort à parier que ce rapport sera très peu médiatisé, tout d’abord parce qu’il ne contient guère de révélation spectaculaire. 
Et surtout, parce qu’il constitue un véritable baromètre de l’erreur judiciaire avérée, autant dire celle à laquelle on souhaite ne surtout pas penser…
 
Mise en situation ; 
Sortant de chez vous, votre  œil est attiré par un couteau à terre. Curieux vous le prenez en main avant de le découvrir maculé de sang.
Le temps de réaliser ce qui vient de se produire, un gendarme vous saisit et vous menotte.
Au terme d’un longue garde à vue vous êtes présenté à un juge d’instruction.
A raison des indices graves et concordants laissant présumer que vous seriez l’auteur d’un crime (vos empreintes sur l’arme, vos rapports tendus avec  la victime ; votre voisin amateur death metal à deux heures du matin) le juge d’instruction vous notifie votre mise en examen
Il sollicite votre placement en détention provisoire auprès du Juge des Libertés et de la Détention, qui fait droit à cette demande conformément à l’article 144 du code de procédure pénale pour les raisons suivantes : 
  • Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité
  • vous protéger d’éventuelles représailles de la famille
  • garantir votre maintien à la disposition de la justice ;
  • Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission et l’importance du préjudice qu’elle a causé.
Sans avoir réellement compris ce qui vous arrive, vous voilà donc placé en détention sans avoir été jugé.  
Votre procès viendra plus tard, à la fin de l’enquête.  
 
Quelque six mois plus tard votre voisin du dessus, qui déteste le death metal expédie ad patres un autre résident, se fait arrêter et finit par avouer le premier crime. 
Vous êtes libéré.  
Certes, mais l’ensemble de vos proches a appris que vous étiez en prison et martèle à l’envi qu’il n’y  a pas de fumée sans feu. 
Quant à votre employeur, il n’a bien sûr pas attendu pour pourvoir votre poste. 
Vous êtes libéré… et très en colère contre la justice.  

 

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C’est précisément pour tenter d’apaiser ce genre de situation qu’à été crée l‘article 149 du code de procédure pénale qui dispose que : 
la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. 
Il s’agit donc de permettre et d’encadrer l’indemnisation du préjudice causé aux mis en examen à l’occasion de leur placement en détention provisoire lorsque par la suite ils ont été reconnus innocents
 
Le texte est d’ailleurs très précis sur ce point, il ne suffit pas que la procédure n’ait pas débouché sur une condamnation
« aucune réparation n’est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l’article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l’action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l’objet d’une détention provisoire pour s’être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l’auteur des faits aux poursuites. »
Le recours fondé sur l’article 149 du code de procédure pénale relève de la compétence du Premier Président  de la Cour d’Appel du ressort dans lequel a été prononcée la décision de non lieu, de relaxe ou d’acquittement. (art. 149-1 du code de procédure pénale)
La décision du Premier Président peut elle même être contestée devant la commission nationale de réparation des détentions, placée auprès de la Cour de Cassation. (art. 149-3 du CPP)

S’il s’agit par définition de recours exceptionnels le rapport d’activité pour 2008 de cette commission rappelle qu’il ne s’agit absolument pas d’hypothèses d’école. 
On y apprend notamment que pour cette seule année, le nombre de décisions rendues en la matière par les Premiers Présidents de Cour d’Appel culmine à 665 (644 en 2007)
Quant à la Commission elle même, elle a eu à statuer sur 82 cas en 2008, (contre 91 en 2007)

Toujours sur le plan statistique, on apprend que :
La durée moyenne des détentions indemnisées a été de 343 jours (324 jours en 2007).
 et que : 
La moyenne des indemnités allouées a été, pour le préjudice matériel, de 7 309 euros (8 177 euros en 2007), soit un total de 402 029 euros (contre 637 810 euros en 2007), tandis que la moyenne de celles octroyées au titre du préjudice moral a été de 24 588 euros (22 700 euros en 2007) soit un total de 1 352 364 euros (1 770 600 euros en 2007).
La somme globale s’est donc élevée à 1 754 393 euros (2 408 410 euros en 2007)
Voilà qui est édifiant en soi ;
En moyenne, une année de votre vie passée en prison à la suite d’une erreur judiciaire vaut donc  environ : 
  • 7.600 euros au titre du préjudice matériel 
  • 25.000 euros au titre de votre préjudice moral
Terrifiant non ? 
Par exemple, la commission de réparation des détentions a été amenée à accorder à un homme de 57 ans, enfermé à tord du 6 mai au 22 septembre 2004 les sommes « royales » de : 
  • 10.000 euros au titre de son préjudice moral
  • 2.300 euros au titre de son préjudice matériel

Par bonheur le rapport d’activité de la commission est mis en ligne alors que nous songeons tous aux vacances passées, présentes ou futures et n’avons aucune envie de penser à des choses aussi agaçantes. 
Par bonheur, oui.
Imaginez un peu la panique si ca se savait ?