reverie

L’autre coté

Dans son rêve, les coups s’abattent sur le bois trop fin de la porte dont les gonds, qui semblent à chacun d’entre eux un peu plus près de céder, tiennent bon.
Une main fermement posée contre le mur David lutte pour conserver son équilibre sur un pied, saisi de la conviction irraisonnée que le poser reviendrait à alerter l’autre sur le palier.
Il n’a pas de raison objective de se cacher ainsi.
Pourtant, à l’instant cela semble la seule chose à faire : le monde autour s’est rétréci au point de devenir douloureux.
 
Le temps, pervers, a choisit à l’inverse de se détendre, David pourrait compter chaque seconde, s’il n’était si occupé à retenir la moindre respiration de crainte de se trahir.
Mais les minutes s’égrènent bien plus surement de l’autre coté de la porte.
Cela est si vrai qu’enfin, l’importun s’est lassé. Il lance un juron alors que ses pas marquent chacune des marches qui le séparent de la sortie.
 
David se laisse glisser le long du mur pour enfin tomber à genoux et briser le silence dans un sanglot.
 
Lorsqu’enfin le jeune homme se relève, il se sait incapable de revivre cela de nouveau.
 
Le reste passe à la vitesse d’un souffle, et lorsque David fait glisser la lanière de son sac au creux de son épaule avant d’enfin claquer la porte, il se sent soulagé, un peu. 
 
Dans son rêve, David a les épaules d’Élise blotties au creux de ses paumes. Ses doigts voyagent d’un bout à l’autre de son dos, avant de s’attarder lentement sur le pli léger qui s’est quelque part au dessus de son nombril. Elle frissonne un instant lorsque les doigts du jeune homme remontent une première fois, juste le temps de parcourir dans un sens puis l’autre ces quelques centimètres de peau d’une douceur infinie qui marquent la frontière de chacun de ses seins.
Quelle heure est-il au juste ?
 
Dans son rêve David est ébloui par de violents éclairs bleus qui s’abattent à un rythme bien trop régulier. 
Non. A la réflexion il doit plutôt s’agir de flashs répétés. Mais cela n’a pas de sens. Que viendrait faire un photographe dans ce rêve ? Ce serait idiot… Il doit forcément s’agir d’autre chose. David fronce les sourcils comme pour chasser ces lumières, pourtant il pourrait dire déjà que cela ne suffira pas.
 
Engoncé dans un uniforme sombre le policier a déjà posé une main sur son épaule. Il doit à sa jeunesse ce regard un peu trop droit qui distingue celui qui veut convaincre d’une autorité dont il n’a pas encore acquis l’habitude. David se tourne vers lui dans un réflexe de protection qui s’arrête à mi-course ; littéralement fauché par cette douleur vivace qui est le prix des nuits d’ivresse.
Il se racle la gorge avant toute chose et articule : 
« C’est pour quoi ? »
L’homme en uniforme le regarde, formel.
« Je vais vous demander de me suivre Monsieur. »
David croit devoir insister :
« Qu’est ce que vous me voulez ? »
Avant même d’avoir pu obtenir une réponse, David réalise l’agitation par la fenêtre, les gyrophares qui tournent, et l’ambulance surtout.
Il s’assied sur la banquette et attrape cette chemise pas trop froissée qui repose à ses pieds. Un relent de vodka croit devoir remonter à cet instant précis avant de finir en flaque blanche et gluante à seulement quelques centimètres des semelles du policier.
David relève la tête dans un sourire,
« Maintenant je vais pouvoir vous suivre… On connait la raison précise de ce cirque dehors ? »
Le policier ne lui répond pas. David le pressent, lui aussi ignore la raison de ce bastringue. Mieux ; lui aussi donnerait cher pour la connaître.
David quitte la camionnette avec un sentiment d’abandon, c’est un Renault trafic dont l’origine se perd au début des années 80.
Ce qu’il faut vous dire, c’est que David ne l’a pas payée quoiqu’elle lui ait couté pas mal de sueur lorsqu’il s’est agi de la pousser jusqu’au terrain vague dont elle n’a pas bougé depuis bientôt deux ans.
Depuis tout ce temps David la considère comme son foyer, suffisamment en tous cas pour y avoir installé une petite table récupérée dans les ordures quelques deux rues plus loin.
Assis sur la banquette face à ce meuble unique David se prend parfois à s’imaginer dans ce salon qui fut le sien ; dans cette vie qui est si loin déjà.
 
David n’a pas toujours été clochard, mais à présent cela n’a plus grande importance.
D’autant, qu’il vient de faire quelques pas pour se trouver déjà au milieu du terrain vague, guidé par deux policiers qui lui laissent à peine le temps de comprendre l’évènement qui se déroule au tour de lui.
 
En vérité la scène est atroce et complexe à la fois. Cela serait plus supportable peut être s’il n’y avait cette odeur âpre et collante de chair à peine grillée.
Rien ne saurait parfaitement décrire ces clous fichés dans ce qui étaient encore deux paumes il y a quelques heures à peine. Pas plus, cette silhouette noire au milieu qui tient bien moins du cadavre que du charbon à forme humaine.
 
David réprime une nouvelle envie de vomir et presse le pas.
Pour la première fois depuis bien trop longtemps David ne souhaite rien d’autre plus que de quitter ce terrain vague.
C’est peut être aussi bien d’ailleurs, ces horreurs font partie du passé. 
Il est bien tard déjà et plus que temps de se réveiller. 
 

Laisser un commentaire