à vif, reverie, SNCF

Seuls dans le train de nuit

Je dévale les marches à la volée et m’excuse au passage alors que mon coude maladroit les heurte par mégarde.

L’homme me répond dans un sourire.
Des notes de bière teintent son haleine et sa voix lorsqu’il m’adresse des remerciements exagérés, de ceux qui distinguent l’homme qui n’en a pas l’habitude
A cet instant, je ne prête attention ni à sa chemise trop grande, ni à ce sac poubelle qui contient ses affaires. 
Je n’accorde pas même un regard à cette brune qui s’accroche à son bras.
Moi je finis ma course, encore tout à mon élan, plus emporté par habitude que réellement pressé.

J’ai le regard déjà perdu alors que les quais s’enfuient par la fenêtre  pour devenir ces rues que je connais trop bien.
Il est vingt et une heures déjà et mes traits se reflètent
sur la vitre dans une grimace figée que je choisis d’ignorer.

 
« Le contrôleur je l’emmerde ! « 
 
C’est ce cri qui me tire de mes pensées, je n’ai aucune peine à y reconnaitre la voix de l’homme de l’escalier.
Pourtant, elle n’est déjà plus la même tant l’euphorie de l’instant passé semble avoir fait place à une rage incontrôlée. 
La brune, dont le brushing impeccable trahit une coupe récente n’a pas lâché son bras. D’un geste brusque il la force à lâcher prise avant de lancer les  sacs  de plastique noir sur la banquette à sa gauche. 
Déjà il hurle à nouveau. 
« Le contrôleur je l’emmerde ! »
« J’ai fait quatorze ans de taule ! Vous croyez que je vais me laisser emmerder par un contrôleur ? »
« Qu’il essaie de venir et je l’emplâtre »  La brune se rattrape à son bras et tente de le raisonner d’un sourire qui peine à dissimuler son inquiétude.

A présent la totalité des plus ou moins dix passagers disséminés dans le wagon a le regard tourné vers lui 
Quelques deux sièges plus à gauche une dame sursaute sous un carré Hermès avant de m’adresser un sourcil levé tout à la fois complice et fataliste.
 
La tempête se calme peu à peu, lorsqu’enfin il consent à s’asseoir. 
Et moi je me surprends à rougir lorsqu’elle se love au creux de ses bras. 
 
Puis le train arrive en gare.
Alors moi, comme les autres je me lève en direction de la porte comme pour ne pas les déranger.
Il ont les yeux fermés lorsque j’arrive à leur hauteur.
Puis je sors, enfin, alors qu’ils restent seuls, tous deux, dans le train de nuit.
 

 

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